LE YOUNG ADULT
L'article où on va tenter de comprendre ce que c’est, quelles sont ses limites et ses critères (s’il y en a).
Rien que ça !
Comme ce thème est sujet à débat, je tiens à commencer par un rappel : tout est toujours SUBJECTIF.
Je suis donc une éditrice spécialisée en YA depuis mes débuts, je gère deux collections YA (chez Leha-Lynks et Mnémos) et surtout, je lis à peu près tout ce qui sort en français, donc je connais le marché par coeur. Pourtant, je continue d’apprendre moi aussi, et ce qui suit n’est qu’un avis personnel (comme toujours).
Avant d’en venir au fait, je vais être claire : je suis une fervente défenseuse du YA. Donc bien sûr, ça biaise mon jugement, mais je vais essayer aussi de vous faire comprendre pourquoi j’aime autant cette littérature et pourquoi il faut arrêter de la juger avec tant de mépris (oui, on a un gros problème en France avec le mépris de tout ce qui n’est pas la littérature blanche et les classiques).
Oui, il y a des romans YA mauvais, comme dans absolument toutes les catégories de romans.
Et surtout, il y a des romans magnifiques, de vraies perles.
Qu’est-ce que le Young adult, déjà ?
La première complication, c’est qu’on a tendance à percevoir le YA comme un genre – alors qu’à proprement parler, il s’agit plutôt d’une tranche d’âge, puisqu’il peut y avoir des YA dans tous les genres (blanche, imaginaire, policier, etc.).
Quelle tranche d’âge, donc ?
Alors d’abord, personnellement : jamais je ne mets de limite supérieure. Je trouve ça condescendant et humiliant : on peut lire de la jeunesse et du YA même lorsqu’on est adultes. Alors surtout : si vous aimez en lire et que vous avez 30 ans ou 50, vous avez le droit, n’ayez pas honte.
À partir de quel âge alors ? Ça varie, bien sûr, en fonction du niveau du lecteur et de la difficulté du roman en lui-même (comme tous les romans), mais pour moi : à partir de 14-15 ans.
Young adult = jeunes adultes. Donc des personnes en fin d’adolescence et qui s’apprêtent à entrer dans le monde adulte. Si vous avez vraiment besoin de chiffres : pour moi, entre 15 et 25 ans, c’est là la cible principale du YA. Les gens encore en construction qui quittent l’adolescence pour apprendre toutes les responsabilités liées à une vie d’adulte. Donc pas des lecteurs trop jeunes qui ne sont pas touchés par les problématiques liés au passage à l’âge adulte, et en théorie, on pourrait être moins intéressés si on est déjà installés dans notre vie d’adulte – mais en réalité, le lectorat YA est beaucoup plus étendu. De plus en plus de lecteurs plus âgés lisent du YA, parce que les thèmes, les héros, continuent de toucher les lecteurs.
Ceci dit, le YA est plus qu’une tranche d’âge (notamment parce que son public est bien plus large que sa cible initiale) parce qu’on retrouve dans la majorité des romans YA des codes semblables, même s’ils sont plus variés et moins précis que pour d’autres genres. Du coup, avec ces codes, on a plus l’impression d’une catégorie à part entière – et c’est le cas.
C’est une catégorie nouvelle en France, qu’on appelle aussi « cross age » car elle fait le lien entre la littérature jeunesse et la littérature adulte.
Comment sait-on qu’un roman est un roman YA ?
1- Grâce à sa taille ?
Non. Les romans YA font toutes les tailles : de 200p à 700p. D’ailleurs, nos représentants (ceux qui présentent les romans aux libraires) nous ont dit que les grosses briques marchaient très bien en YA. Probablement parce que les lecteurs de YA sont souvent de gros lecteurs qui n’ont pas peur des gros romans ?
En tout cas, la taille n’est pas du tout un critère ! Écrivez votre histoire, vous verrez bien combien de place elle prend !
(NB : en général, on vise entre 50 000 mots et 150 000 max, c’est large.)
2- Grâce à son style ?
SURTOUT PAS. C’est un « critère » qui revient souvent et qui me hérisse le poil, la simplicité du style. NON vous n’avez pas à simplifier votre écriture, merci. Le style n’est pas un critère pertinent pour déterminer si votre manuscrit est un roman YA. Ce genre d’affirmation, ça vient simplement du mépris pour la littérature jeunesse et pour les adolescents. Ils sont capables de vous comprendre, ne vous inquiétez pas. Un agent encore m’a dit qu’un roman qu’il nous présentait était en adulte alors que tous ses thèmes sont YA à cause de « la richesse de l’écriture » : il n’y a rien de plus faux. Au contraire ! Ne vous bridez surtout pas (bon ne faites pas compliqué pour faire compliqué, il n’y a rien de pire), suivez votre instinct. Vous avez envie d’utiliser des figures de style, des métaphores, je sais pas trop quoi ? Faites.
Un style simple n’est pas un critère pour déterminer si c’est du YA ou pas. Non, un roman n’a pas à être un style simple et épuré.
Je sais que certains seront en désaccord (même parmi les éditeurs), mais moi, je tiens ma position. J’attends des textes au style riche pour mes collections YA. Ne sous-estimons pas ce public. Ils méritent les meilleurs romans.
3- Grâce à sa narration ?
Ça rejoint le style donc vous devinez ma réponse : non.
Osez tout ! Vous pouvez tout à fait avoir du YA avec plusieurs narrateurs, des flash-backs, deux narrateurs à deux époques différentes, etc. Tout est possible, pas de frein, amusez-vous. Au contraire, apportez de la richesse à votre manuscrit.
4- Grâce à la complexité de son intrigue ?
Bon, vous commencez à me connaître. Donc… non. N’oubliez pas : vous n’êtes pas en jeunesse. Vous vous adressez à des lecteurs presque adultes, des gens capables de comprendre les intrigues les plus complexes. Encore une fois : ne méprisez pas les jeunes adultes.
5- Par son manichéisme ?
Il faudrait que les héros soient gentils et les méchants méchants, il faudrait faire porter un message (positif), il faut que ça se termine bien, il faut pas trop de violence, etc. >> tout ça, c’est n’importe quoi. Ce genre de limites ne fera que vous freiner pour de mauvaises raisons.
Bien sûr, on peut avoir affaire à des lecteurs jeunes – donc influençables – et il faut faire attention à certaines choses : je pense notamment aux relations amoureuses toxiques érigées en modèle romantique. Sauf que : le problème n’est pas de montrer des relations toxiques. Le problème est de les ériger en relations romantiques. Vous voyez ce que je veux dire ? Ceci dit, il y a plusieurs moyens pour dénoncer, y compris (toujours dans mon exemple) de passer par une relation toxique a priori romantique que l’on déconstruit.
Donc vous pouvez tout vous permettre, tant que le lecteur comprend que ce n’est pas quelque chose de bien / à imiter. Oui, c’est à doser, oui, ça demande de la subtilité. Ça peut passer par un autre personnage qui rappelle au héros que ce qu’il fait est vraiment mal (par exemple). Parfois ça passe par la rédemption de ce même personnage (mais pas forcément). Donc oui, vos héros peuvent vraiment faire de mauvaises actions, oui ça peut mal finir, il peut ne pas y avoir d’espoir (c’est assez rare ceci dit en YA).
Surtout : soyez sensibles et subtils dans le traitement de vos personnages et de vos thèmes. Donc dites adieu au manichéisme ou à tout ce qui est trop tranché – mais c’est valable pour toutes les littératures.
6- Par son ton ?
Toujours pas : un roman YA peut adopter n’importe quel ton : humoristique (parodique, ironique, etc), léger, sombre, poignant, pesant, irrévérencieux, etc. Donc oui, bien sûr, ça peut être extrêmement sombre. (Moi c’est ce que je préfère, héhé.) De nombreux adolescents ne se sentent pas bien (dans leur peau, dans ce monde), en fait. Alors forcer la légèreté ? Non.
Comme pour le reste : ne vous mettez pas de limites.
7- L’âge des personnages
Effectivement, c’est un critère pertinent, même si ce n’est pas le plus important. Mais oui, vos personnages doivent, quelle que soit la cible, avoir plus ou moins le même âge que la cible. Y compris pour le YA, donc. Ça ne viendrait pas à l’idée de mettre un héros quarantenaire pour des romans à destination des 8-10 ans, là, c’est pareil. La cible privilégiée c’est 15-25 ans, donc vos héros doivent appartenir à cette tranche d’âge aussi. Des gens entrant à peine dans l’âge adulte ne vont pas trouver des héros de soixante ans très intéressants, c’est normal. On s’intéresse à ceux qui nous ressemblent en premier lieu.
L’un des points principaux est donc : l’identifications aux personnages principaux. Les lecteurs doivent pouvoir s’imaginer à leur place. D’où la nécessité de l’âge similaire.
8- Par ses thématiques ?
Ah ! Ça y est : mon premier gros OUI.
Oui, c’est grâce à ses thématiques, principalement, qu’on peut juger un roman YA ou pas.
En réalité, ça peut être des thématiques très variées mais qui ont un point commun : elles parlent à des jeunes quittant l’adolescence pour entrer dans l’âge adulte. C’est essentiel. Et ça respecte la même logique que la littérature jeunesse. Un exemple pour que ce soit plus clair ? La thématique de la maternité : globalement ce thème ne parlera pas du tout à des jeunes entre 15 et 25 qui sont loin de l’idée d’avoir des enfants (bien sûr, il y a des exceptions, qui traitent notamment d’une grossesse surprise, de l’avortement, d’une grossesse adolescente, mais là je parle d’une grossesse classique dans un couple installé avec maison et boulot fixe quoi). Ou la thématique de la vieillesse, qui ne leur parlera pas non plus.
Quelles sont les thématiques que l’on retrouve souvent, alors ? Justement ce passage à l’âge adulte, la prise de responsabilités, la construction de son identité, l’affirmation de soi, les relations fraternelles, amicales, amoureuses, avec ses parents (beaucoup), trouver sa place dans le monde, vouloir bousculer cette société pas faite pour les jeunes, etc.
C’est vaste et j’en oublie plein, des thématiques même moins centrées sur cette tranche d’âge : les deuils, la différence, l’espoir, etc.
Demandez-vous donc : à qui mes thèmes et problématiques vont-ils parler ?
Bien sûr, cela implique de connaître les thèmes et problématiques que l’on évoque, mais… c’est central à votre roman, donc vous devez les connaître. Pas forcément au moment de l’écriture, parfois ils n’émergent qu’à la fin, mais avant l’envoi aux éditeurs, vous devez avoir identifiez et mis des mots vos thèmes principaux. c’est essentiel pour la force de votre roman (et ça vous aidera à la vendre)
9- Quelles sont les limites au niveau de la violence et du sexe ?
C’est une question tout à fait légitime : en effet, le YA est classé en littérature jeunesse. Donc nous sommes normalement sous le coup de la loi protégeant la littérature jeunesse.
Du coup, là, c’est un avis très personnel : je ne me donne aucune limite concernant la violence, tant que ça n’est pas gratuit. La vraie vie ne fait pas de cadeaux et est souvent violente, j’estime que les romans doivent refléter la même chose. Même pour les adolescents, oui. Il faut arrêter de se leurrer : ils ont tous vu des films d’horreur gores. Donc pour moi (en tant que lectrice comme éditrice) : no limit. S’il y a besoin d’une main coupée, coupez la main. Besoin d’une éviscération ? Éviscérez. Les meilleurs YA que j’ai lus ne font aucune concession à la violence, et c’est ce que j’aime, car à ce moment-là : tout devient possible. Les personnages ne sont pas à l’abri de souffrir voire de mourir. Et là, ça devient vraiment intéressant, si on a peur qu’ils aient une main coupée ou qu’ils meurent dans d’atroces souffrances. Pour moi, ça donne tout le sel.
La question du sexe est un poil plus complexe, car la majorité des YA sont des traductions des pays anglo-saxons, qui ne sont pas très explicites, donc 0 scène de sexe (en imaginaire). Du coup, les auteurices français ont suivi le mouvement plus ou moins consciemment. Bon, et nous aussi on est puritains. Du coup les seules scènes de sexe « autorisées » ce sont celles des premières fois (logique). Ceci dit, je suis aussi en désaccord avec cette politique conservatrice : on devrait pouvoir écrire des scènes de sexe (tant qu’elles sont utiles, comme pour la violence, mais ça ce n’est pas lié au YA), parce que ça fait pleinement partie de la vie des jeunes. À 20 ans, rares sont ceux qui n’ont pas expérimenté le sexe, quoi. Ceci dit, moi qui suis spécialisée en imaginaire, il y a peu de place pour le sexe : quand on est occupé à sauver le monde, on a pas le temps de s’occuper de ses fesses (bon normalement, en pratique les personnages sont un peu trop occupés à tomber amoureux, ce qui a tendance à m’agacer, mais c’est une toute autre histoire).
Donc moi je préfère ne pas mettre de limites, même si pour être honnête : la plupart des maisons refuseront des scènes trop sexuelles (il ne faudrait pas effrayer les parents). La violence est plutôt bien acceptée (surtout depuis Hunger Games). Ceci dit, mon conseil : écrivez comme vous en avez envie, si votre éditeur trouve que c’est trop (trop sexuel, trop violent), il vous demandera de supprimer ou modifier ces scènes. À vous de voir si vous voulez le faire. Mais un éditeur ne refusera pas de lire votre texte à cause de ces scènes, en tout cas.
Conclusion
Pour moi, la littérature YA, c’est celle qui ose : qui ose aborder des problématiques compliquées et sensibles, des héros pas toujours héroïques, qui met des mots sur le monde qui nous entoure. Un monde souvent moche.
Deux choses se rejoignent dans la grande majorité des romans YA et constituent pour moi un critère pertinent : l’émotion et une réflexion sur la société.
Ok, ce sont pas des thématiques à proprement parler, mais c’est ce qu’on retrouve dans les romans YA, quel que soit le genre, quel que soit leur thème, quels que soient ses personnages.
L’émotion, ça rejoint l’identification aux personnages : on doit s’attacher à eux, vivre avec eux leurs aventures, partager leurs émotions : peur, tristesse, douleur, espoir, joie. Le lecteur vit à travers eux. Ce qu’ils traversent doivent procurer des émotions, ce n’est pas une lecture distanciée. On doit pleurer, rire, être énervé. C’est pour moi l’essence du YA, ce qui fait sa particularité et sa puissance.
Pour moi, le lien avec les personnages est bien plus profond qu’en littérature adulte, car le lecteur doit pouvoir s’imaginer en eux. L’attachement c’est vraiment primordial, ça portera le lecteur. Ça le portera où vous voulez.
La réflexion sur la société : ça revient dans énormément de romans YA, que ce soit en premier plan ou en arrière-plan. Il y a une remise en cause de la société telle qu’elle est, des dénonciations mais aussi des espoirs voire des propositions de changements. Ces réflexions peuvent prendre un tas de visages, à l’échelle d’un individu, d’une communauté ou du monde. Parce que les jeunes – et moins jeunes, c’est sans doute pour ça que le public est bien plus large – ont besoin de rêve à un monde meilleur, dans une société qui ne leur fait pas de cadeaux.
Ces réflexions font la force du YA aussi, parce qu’ils nous font réfléchir sous couvert de nous divertir. Ils nous apportent des pistes de réflexions et des envies de, peut-être, changer le monde.
En conclusion : pour déterminer si votre manuscrit est du YA, la meilleure solution, c’est d’en lire, en fait. Parce que vous plus vous en lisez et plus vous verrez de vous-mêmes les points communs qui ressortent entre les différents romans YA : parce que les points communs sont évidents, et il est au final assez facile de déterminer s’il s’agit de YA ou pas – l’habitude, il n’y a rien de mieux. Parce que ce n’est pas toujours évident de mettre des mots sur des sensations !
Mais trois critères principaux à retenir pour reconnaître le YA : l’identification aux personnages, l’émotion suscitée et la réflexion (quelle qu’elle soit) sur la société.
Mon TOP 5 YA
(OUI j’aime le sombre très sombre) :
- Hunger Games, de Suzanne Collins (mon amour pour le YA a démarré là)
- Red Rising, de Pierce Brown (sombre, violent, tout, tout y est possible)
- Le Dieu Oiseau, d’Aurélie Wellestein (et tous ses romans, si vous croyez que le YA a des limites, lisez-la)
- Les Fragmentés, de Neal Shusterman (et tous ses romans, qui évoquent des sujets difficiles avec une sensibilité et des nuances)
- Ellana, de Pierre Bottero (le maître)
En bonus :
- Ash Princess, de Laura Sebastian (classique mais si bien fait, avec des personnages profonds)
- Nevernight, de Jay Kristoff (classique aussi, mais ça se dévore et c’est réalisé avec brio)
- Wilder Girls, de Rory Power (original et prenant et poignant)
- Half Bad, de Sally Green (pour sa fin, surtout, magistrale, la plus belle que j’ai lue)
- Les Puissants, de Vic James (pour sa construction sur les trois tomes, qui sont de mieux en mieux jusqu’à la fin)
Pour découvrir des auteurs francophones de YA :
Cindy van Wilder, Agnès Marot, Ariel Holzl, Tess Corsac, Cécile Guillot, Adrien Tomas, Daniel Mat, Maiwenn Alix, Camille Brissot, Aurélie Wellenstein, Estelle Faye, etc.